REOTIER : une commune pastorale

Réotier

8 mai 2017

Avant propos

Réotier est une commune pastorale !

 

Le club des internautes de Réotier a choisi ce thème,retour aux sources de notre paysage et de la vie humaine de la commune, pour faire mieux comprendre d’où nous venons, lutter contre l’oubli,  mieux connaitre notre cadre de vie pour réfléchir sur son avenir.

Ce dossier est évolutif car en cours de construction. Tous les apports permettant d’enrichir le sujet sont les bienvenus. Nous souhaitions le mener à terme pour la foire de la St Luc en octobre 2016 . Il nous faudra un peu plus de temps. Il est utilisable à trois niveaux de lecture :

  • Un premier niveau de présentation et d’analyse de synthèse
  • Un deuxième niveau d’études et d’analyses plus approfondies  constituant le corps du dossier.
  • Un troisième niveau de documents divers annexes en liaison avec le niveau 2 après bouclage du dossier.

Un certain nombre de liens renvoient à des sites web extérieurs riches d’informations spécifiques.

Remerciements : L’équipe des internautes remercie toutes les personnes qui ont bien voulu participer à la réalisation du dossier. Nous saluons l’ouverture d’esprit, la disponibilité et les efforts de tous ceux qui ont compris que notre mémoire collective avait besoin de bases et d’entretien. Nous sommes particulièrement sensibles  à l’accueil que nous ont réservé les anciens.

Une mention spéciale à deux photographes, non natifs de Réotier, qui nous laissent des images témoignages de deux époques différentes :

Alain Leroy a séjourné à la Cure entre 1981 et 1986. Ses clichés de grande qualité sont un regard pertinent sur la vie rurale de cette époque. Il est de retour en 2016. Puisse t’il faire une actualisation du thème pastoral.Il a laissé à la mairie sa collection.

Juillet 2016. Alain Leroy à l’Iscle avec Michel Martin. Il revient de loin, a perdu des plumes mais c’est le retour avec son Leica.

Claude Bouvet est devenu Roteirolle après de longs séjours sportifs sur les rivières des Hautes Alpes. Depuis 2000 Viviane et Claude vivent à  Clavelle. Entre 1998 et 2002, en partenariat avec le PNE il réalise un reportage sur la vigne et un autre sur le pastoralisme à Réotier. Ils feront l’objet d’expositions dont une à La Tour Brune à Embrun. (voir ici).

   

Claude Bouvet. Au temps de l’argentique il faisait tout.

IMPORTANT : Notre propos n’est pas plus passéiste que nostalgique. Loin de nous de prétendre qu’autrefois c’était le bon temps, la « vraie » vie et de sous entendre qu’aujourd’hui nous vivons dans l’erreur. Les photos de tous les dossiers sont identifiées soit par le nom du photographe connu soit de celui qui a prêté le  document. Si rien n’est spécifié ce sont des photos de l’auteur principal, Louis Volle. Il en est de même pour les textes des articles.

A Truchet 2016. Les chalets des petites montagnes rénovées devenues résidentielles. La chapelle St Roch rajeunie. Bien que symbole du progrès, ce tracteur est le témoignage authentique des derniers temps de l’activité pastorale traditionnelle. (Ph.J.Mathieu).

SOMMAIRE

Réotier : une commune pastorale. Texte d’introduction

 

1 - Le temps des vaches et des paysans

 

2 - Les mutations de l’après-guerre 1945

 

3 - Au début du XXIème siècle : adaptation permanente et incertitudes

 

Perspectives

ANNEXES :

Mieux connaître :

Documents Blanc
Documents Jeannette Brun
Documents Germaine Domeny
Documents Michèle Hagard
Documents Vincent

Réotier du site primitif quasi déserté aujourd’hui.

REOTIER : Une commune pastorale

Dernier promontoire au sud est du Massif des Écrins, le site de la commune présente tous les caractères des espaces de vie en montagne permettant autrefois l’autarcie économique.

Des rives de la Durance, à 876 mètres, aux 3156 mètres du sommet de la Tête de Vautisse, ce territoire est une immense pente de 2280 mètres de dénivellation.


Un immense plan incliné de la Durance à Fouran.

A l’exception des petits plans de l’Isclette, de Relarc et de la Restrèche au bord de la rivière, tout est incliné. Il faudra se contenter de quelques replats, cadeaux de l’érosion glaciaire comme à Mikéou, Truchet ou la Grangette. Par contre, peu de reliefs rocheux. Nous sommes pour l’essentiel au pays des nappes du flysch génératrices de formes plutôt monotones. La touche alpine viendra d’accidents tectoniques (écailles briançonnaises (voir ici) disséquées par l’érosion comme Roche Charnière ou les lames au pied desquelles jaillit la Fontaine Pétrifiante) ou de l’érosion glaciaire (la tête polie par le glacier de la Durance portant la table d’orientation).

Roche Charnière et son pâturage suspendu.

Pourtant cette hostilité naturelle explique les premières occupations humaines dés la préhistoire. Encore plus au Moyen Age quand la priorité était la sécurité : montagne refuge, site de défense ou de contrôle de positions stratégiques. Le site originel du Château dominant l’actuelle Eglise St Michel a rapidement été déserté. Quelques racines de murs d’enceintes ou de postes de vigie noyées dans la forêt témoignent pauvrement de ce lointain passé.


Restes de l’enceinte du donjon.

Pour construire les hameaux actuels constituant la commune, plus proches des voies de circulation modernes et sécurisées, les habitants ont pillé les matériaux des édifices primitifs. Aujourd’hui ceux qui ignorent cette évolution se demandent toujours pourquoi l’église et le cimetière sont aussi éloignés des lieux de vie actuels.

Dés les origines l’adaptation des habitants a nécessité un labeur collectif énorme. Les hommes de toutes les époques se sont accrochés à cette terre généreuse malgré tout : un adret extraordinaire, un potentiel agricole, des ressources en eau, en bois en herbages…Toutes les pentes ont connu la pioche, le pic, les leviers et toutes sortes d’outils pour créer des milliers de terrasses de toutes dimensions, pour tracer des chemins muletiers, creuser des canaux et épierrer tout l’espace. Malgré une déprise agricole brutale après la deuxième guerre, qui a entraîné l’abandon de la plus grande partie des exploitations, notre paysage porte de multiples traces de cette vie rurale disparue.


La forêt ferme peu à peu le paysage.

Pourtant, de manière inéluctable, la forêt reconquiert et ferme peu à peu ce paysage défriché au plus haut. De Montdauphin ou Risoul cette transformation du versant apparaît clairement. Les derniers « anciens » racontent aux jeunes incrédules que du temps de leur jeunesse, il n’y avait pas de forêt au dessous de Truchet.

Aujourd’hui, à l’image des neiges autrefois éternelles de Vautisse, l’économie rurale tente de subsister dans sa forme la plus compatible avec la société actuelle. La vie pastorale reste l’activité quasiment unique permettant aux derniers paysans éleveurs de tirer quelques revenus de cette terre rotérolle. Ils sont les gardiens d’un paysage humanisé. La pérennité écologique de l’environnement à Réotier passe par la bonne santé de leurs exploitations.

Le territoire de Réotier (IGN top 25). A noter que le nom « Réotier » reste attaché au site primitif du château et de l’église.

XXIème SIÈCLE :Les derniers paysans éleveurs : Bernadette, Nadine,Michel,René et les autres…Seront-ils les derniers ?

Quatre exploitations valorisent l’espace pastoral. La mixité est remarquable, avec deux femmes, descendantes de vieilles familles paysannes de Réotier.

Bernadette EYMAR à Pré Imbert

Nadine CASTELLACCI aux Casses

René BLANC à la Bourgeat

Michel MARTIN à Saint Thomas

COMMENT EN EST -ON ARRIVE LA ?

A l’époque de son maximum démographique, la commune a compté jusqu’à 44  exploitations. Chaque micro parcelle était jalousement gardée d’une intrusion des bêtes d’un voisin. A la belle saison l’intensité des déplacements entre le haut et le bas du pays était considérable. Tout se faisait à pieds, souvent avec le « miaule » ou le cheval  dés qu’il s’agissait de porter. Travail éreintant, avec des dénivellations pouvant dépasser quotidiennement les 1000 mètres pour passer d’un lieu de travail à un autre. Toute la famille était mobilisée pour espérer réussir à être en capacité de passer la mauvaise saison.

Ces conditions de vie difficiles expliquent pour l’essentiel l’exode rural, à Réotier comme ailleurs. Paradoxalement, quand la vie devient plus facile avec l’amélioration des commodités domestiques (eau, électricité, téléphone…) et des communications, rien n’arrête l’hémorragie de population.

Les hameaux se vident. De nombreuses maisons tombent en ruine. Les coutumes collectives s’oublient. Faute de bras, les canaux d’irrigation ne sont plus entretenus, les chemins et les drayes sont envahis par la végétation ou se perdent. En deux générations le paysage change radicalement. Ainsi, dans les années 1950, les pentes entre l’église St Michel et l’actuel relais de Truchet étaient un escalier de terrasses et de champs irrigués, cultivés ou fauchés. Il n’y avait pas d’arbres : les terrains étaient nus. Aujourd’hui c’est une pinède continue contre laquelle il faut lutter pour garder utilisables quelques pâtures, ou défricher pour laisser passer les lignes électriques et les chemins.

Dans le bas de la commune, le vignoble qui faisait la fierté des paysans depuis des siècles connait le même sort, se réduisant comme une peau de chagrin.

Ce qui peut être sauvé le sera grâce à l’interventionnisme agricole de l’état après la guerre et à la bouffée d’oxygène apportée par la politique européenne agricole commune. On peut retenir deux points forts : le remembrement qui permet de moderniser l’exploitation des terrains de la plaine et l’injection de subventions qui favorisent l’acquisition de matériel, la rénovation des bâtiments, la mise sur le marché d’une production, qui, sans elles, n’auraient aucune chance face à la production massive et meilleur marché des plaines. De la sorte, les quelques exploitants survivants trouveront des conditions de vie et de travail plus acceptables.

Rive droite de la Durance, les grandes parcelles remembrées de la plaine de l’Isclette.

PERSPECTIVES ET INCERTITUDES

Nous voilà bien engagés dans le XXIème siècle. Les dernières pratiques traditionnelles ont disparu. La fenaison est entièrement mécanisée et toutes les terres trop petites ou trop dangereuses pour le tracteur ont été abandonnées.

Fenaison à La Grangette en 2014.

Les derniers canaux en état sont peu utilisés. Les meilleures prairies de fauche sont dans la plaine où l’arrosage par aspersion s’est généralisé. L’agriculture de la commune se réduit presque exclusivement à l’élevage …ou au jardinage.

Agriculture moderne à St Thomas. Grandes parcelles remembrées, arrosage par aspersion, mécanisation systématique. Un espace bichonné une vie durant par Michel Eymar qui a passé le relais à Michel Martin.
Même le vignoble qui faisait la réputation de Réotier, voit le nombre de vignerons s’effondrer. Les pentes inférieures sont gagnées par les friches envahissant les alignements de ceps parfois centenaires. Plus que le vin dont la consommation s’est aussi fortement réduite, c’est la distillation qui motive encore les derniers vignerons. Dans cet effacement inéluctable des pratiques agricoles traditionnelles, la campagne de distillation autour de l’alambic communal reste un des derniers temps forts de cette vie rurale. D’autant plus que les vignerons des communes voisines n’ayant plus d’alambic rejoignent ceux de Réotier.
 
 
L’alambic en 2001 (PH.J.P.Vincent)
 

       

2008 ils y étaient.
 
Un certain renouveau apparaît cependant en matière pastorale. Plusieurs propriétaires de parcelles abandonnées dans la zone d’habitat permanent réagissent. En partie pour limiter les risques d’incendie qui pourraient toucher les maisons des hameaux. L’incendie accidentel de mars 2008 spectaculaire par sa vitesse de progression dans les herbes sèches et par son étendue a été une véritable piqûre de rappel.

Des troupeaux de moutons d’Eygliers (Martin et Humbert) viennent désormais pâturer au printemps et à l’automne les pentes de la butte du château (en aval de Ciuset, secteur de la Combe, la Grangette et les Sagnes). Lourde contrainte pour les propriétaires venant chaque jour d’Eygliers pour déplacer les parcs électriques et s’assurer de la sécurité du troupeau. Car il n’y a pas de berger et dans des zones si isolées mais proches de la « civilisation » le loup n’est pas forcément le prédateur le plus redoutable. Le loup signe son crime mais le voleur est beaucoup plus discret.

René Martin déplaçant ses moutons de parc à parc dans le quartier de l’église. Chaque jour, parfois deux fois par jour, aidé quelques fois par ses frères, après que son père, trop âgé, ait dû arrêter de passer ses journées de retraité à garder sur toute la côte à prés de quatre-vingt-dix ans.(Ph. Claude Bouvet).

      

             Son troupeau à La Combe.                                                               A la Grangette.

Depuis 2014 s’y ajoutent quelques vaches pleines de St Crépin (Mr Gérard) et un âne, tandis que des chevaux locaux pâturent un peu partout sur la commune (en particulier aux Moulinets, au Goutail et à Pinfol).

      

            Les derniers arrivés de St Crépin.                                 Les naissances se succèdent.

Bien des incertitudes pèsent sur l’avenir pastoral de notre commune. La mondialisation continue de fragiliser notre agriculture. Les crises se succèdent. Les paysans abandonnent leur activités en grand nombre. Il y a pourtant des jeunes qui voudraient relever ce défi économique et de société. Mais il faut bien reconnaître que la lisibilité des perspectives n’est pas évidente. A Réotier aussi on peut s’interroger. La fragilité est très grande. Nos éleveurs sont prés de la retraite. Michel Eymar, le premier à s’en aller, a passé le flambeau à Michel Martin, d’Eygliers (voir au dessus), jeune agriculteur mais déjà avancé en âge. René Blanc et Bernadette Eymar ne vont pas tarder à faire de même. Y aura t’il une succession permettant d’entretenir l’espace pastoral de notre commune ? La relève ne viendra certainement pas de Réotier !

Au fond, bien que ce soit regrettable, c’est secondaire. La priorité sera bel et bien d’entretenir le paysage, pour limiter la progression des friches ou des bois, pour conserver la richesse des pâturages et des alpages, pour éviter que notre montagne redevienne un espace non humanisé.