Témoignages de géographes : Raoul Blanchard, Charles Gardelle
27 juin 2016
La vie pastorale à Réotier autrefois
Il est très instructif de relire le remarquable travail du père de la géographie alpine, Raoul Blanchard, qui en 1949-1950 fait l’état exhaustif de la situation dans les Alpes Occidentales. Il montre la bonne résistance de Réotier dans l’économie traditionnelle et laisse entendre que malgré leur vie difficile, les gens de Réotier bénéficiaient d’un des espaces ruraux les plus favorables de la région.
Nous reprendrons seulement ici, l’étude d’un de ses disciples plus jeune, qui en 2000, après une enquête où il rencontra beaucoup de Roteiroles, dont certains encore parmi nous, publia « Alpages », ouvrage de synthèse sur la vie pastorale des Alpes françaises.
ALPAGES TERRES DE L’ETE Volume 2 DAUPHINE
Edition « Les Delphinales » La Fontaine de Siloé 2000 pages 154-156
Cependant, sur la rive droite de la Durance, Réotier est resté fidèle plus longtemps aux vieilles traditions pastorales. Réotier est plus éloigné des usines, et, à la différence de ses voisines, son terroir, dans la zone d’habitat permanent, est très raide, difficile à labourer et à faucher. En revanche, au dessus, dans la zone des alpages, le relief offre des zones planes ou peu déclives plus favorables aux travaux des champs. Ainsi à la différence de bien des communautés alpines, la zone pastorale était la plus favorable à l’homme.
Laissons nous attirer par Réotier.
Les « Roule-curé » montent en procession à l’alpage
Les « Roule-curé », ce sont les gens de Réotier. Ils ont été ainsi désignés par leurs voisins de Guillestre, de Saint-Clément, à la suite d’un épisode de notre grande révolution, celle de 1789. A cette époque, irrités contre leur pasteur, les gens de Réotier l’enfermèrent dans un tonneau, jeté ensuite à la Durance. Plus en aval, le tonneau s’échoua et le prêtre en sortit indemne. Le « miracle » put ainsi conforter dans leur foi les adversaires de la Révolution.(1)
Les paroissiens ne manquaient pas de tonneaux, car, au bas, au bord du torrent, ils cultivaient la vigne. Leurs descendants entretiennent toujours des ceps et remontent aussitôt la vendange plus haut à la maison où ils conservent pour quelques années encore le pressoir et la futaille.
Sur le versant raide, bien ensoleillé, irrigué par tout un réseau de canaux, on fauchait le foin et l’on moissonnait.
1974 Augustin Muraille – Pour bien faucher il faut régulièrement aiguiser la lame. (Ph.A.Leroy).Aujourd’hui une partie de ce terroir est délaissée. Et on est heureux que, dés le printemps, le troupeau ovin de Saint Crépin pâture ici sous la conduite de son berger depuis 1995. Ainsi est limitée la descente de la forêt, toujours prête à envahir un terroir délaissé.
Plus haut encore, on entre dans la zone pastorale aux abords de la chapelle de Mikéou. Presque toutes les familles y avaient un chalet que l’on ouvrait dés le 1er juin. Le chalet comportait l’écurie, au dessus une cuisine et une chambre, sous le toit un petit fenil. Un membre de la famille restait en permanence, rejoint pour la fenaison, les semailles et les moissons par des frères, des oncles. Une grande partie de la fenaison était descendue dès la récolte sur une luge tirée par un cheval. En août on semait l’orge, l’avoine, le seigle, et le même mois on moissonnait les céréales semées l’été précédent.
Le bétail au chalet était gardé en commun. Chaque famille fournissait à tour de rôle le berger ; le tour était fonction du nombre de têtes. Les chèvres vivaient librement dans les zones les plus escarpées. Dès la Saint Jean, les brebis montaient plus haut, vers 2000 mètres, à l’Alp, sous la garde d’un berger. Peu après, il en était de même pour les génisses et les vaches taries. Les deux bergers devaient veiller strictement à la séparation de leurs troupeaux qui, à la mi-saison, alternaient sur les pâturages. Ainsi on aboutissait à une excellente utilisation de la pelouse. Ovins et bovins ne sont pas friands des mêmes plantes.
Les vaches rentrées au chalet, gardées en commun pendant la journée, étaient traites par leur propriétaire, le lait était transformé en beurre et en tomme. Mais pendant les dernières années, une petite route fut tracée à travers la zone pastorale et un ramasseur venu de la gare de Montdauphin descendait chaque jour le lait.
Cette vie de labeur s’interrompait le jour de la Saint Laurent, le 10 août. Tous les gens valides de Réotier montaient avec leur curé et les bannières ; ils s’arrêtaient pour une prière aux croix plantées au bord du chemin et arrivaient à 2450 mètres à la croix du Fouran. La messe y était célébrée à onze heures en plein air. Puis on pique-niquait avec les meilleures tommes, les meilleures charcuteries. Le vin blanc et le vin rouge coulaient. Quelques hommes s’enivraient. Les mulets qui avaient monté les provisions pâturaient aux abords.
La saison pastorale s’achevait seulement à la Toussaint car l’ensemble du versant est tourné vers le soleil levant. Le peu de foin serré dans le fenil permettait de passer les jours de mauvais temps.
Vers 1972, les familles cessèrent de monter, les chalets sont devenus résidences secondaires. Mais la vie pastorale n’est pas éteinte. L’eau coule encore dans des canaux, le foin est fauché sur les replats et descendu avec le tracteur. Des champs de pommes de terre sont toujours cultivés. Des génisses pâturent dans des parcs ; Mais la plupart d’entre elles ne sont plus de Réotier, elles viennent de l’aval, de Chateauroux.
En descendant la Durance au delà de Réotier, la petite montagne à vaches ne semble pas avoir existé, à quelques minimes exceptions près à Chateauroux. Les paysans de la vallée moyenne de la Durance jusqu’à une époque récente n’élevaient pas de laitières. Ils étaient plutôt des agriculteurs. Et même encore aujourd’hui en juillet les moissons marquent le paysage. Mais aujourd’hui les agriculteurs deviennent plus qu’autrefois des éleveurs et en même temps des utilisateurs d’alpages.
(1) Ces faits sont mis en doute. Faits contre faits ? Legende contre légende ? une autre version fait remonter l’agression du curé en 1560 pendant les guerres de religion. Et cette fois il n’aurait pas survécu, enfermé dans un tonneau hérissé de clous ?